Table-ronde
« Regards croisés des Territoires » : vision des élus sur les politiques publiques locales, les engagements (naissants) et les expérimentations
Introduction (Gilles Berhault)
Pour massifier la lutte contre la grande précarité énergétique, nous avons à développer des alliances locales pluri-acteurs qui coopèrent avec ambition. Le premier item de la charte qui fonde les Territoires Zéro Exclusion énergétique est justement la volonté affirmée d’en faire une grande cause du territoire.
Ces démonstrateurs impliquent acteurs publics comme privés dans chaque territoire. D’évidence nous avons besoin des élus pour animer et dynamiser, dans des collaborations entre les compétences portées : solidarité, climat, habitat, santé, économie… Ils sont tous concernés par la précarité énergétique. Comment faire accélérer ? Une première étape importante est l’engagement, les élus présents ont signé une déclaration, autour du Maire de Marseille, rejoignez-les !
Marseille a été une des toutes premières villes à s’impliquer dans les Territoires Zéro Exclusion Énergétique, pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Sébastien Barles, Adjoint au Maire de Marseille en charge de la transition écologique, de la lutte et de l’adaptation au bouleversement climatique et de l’assemblée citoyenne du futur
Avant de vous répondre précisément, j’aimerais vous exposer le contexte dans lequel la Ville de Marseille est intervenue. Quand le « Printemps Marseillais » est arrivé, en effet, à la tête de la Ville en 2020, c’était deux ans après les effondrements de trois immeubles situés en plein centre-ville, rue d’Aubagne, qui a fait huit victimes.
C’était également quelques années après un rapport ministériel qui a fait grand bruit sur l’habitat indigne à Marseille. Le rapport Nicol a recensé en mai 2015, notamment dans le centre urbain dégradé, 40 000 logements concernés, soit 13% des résidences principales et 100 000 Marseillais, vivant dans des conditions précaires.
La question du logement était donc la priorité numéro un de la municipalité, avec celle des écoles puisqu’en 2020 – le journal Libération avait fait sa une sur l’état dégradé des écoles à Marseille.
Depuis, des réponses ont été apportées. La SPLA-IN mène une opération d’intérêt général et national, axée sur le centre ancien dégradé de Marseille, et notamment dans le quartier des Chartreux. Elle travaille aujourd’hui sur quatre îlots démonstrateurs, où de grands projets de rénovation urbaine vont être mis en place, incluant la transformation structurelle du bâti ainsi que la rénovation des espaces publics, pour permettre une meilleure adaptabilité des espaces publics au cœur de la ville.
A notre arrivée également, l’état des lieux révélait une crise non seulement du logement, mais aussi humanitaire, avec des milliers de délogés vivant en dehors de leurs foyers, que nous avons eu du mal à reloger. Depuis, nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs.
Il reste néanmoins que la ville de Marseille souffre d’un déficit structurel de logements sociaux, notamment dans le centre-ville, où les disparités sont marquées.
Dans le nord de la ville, nous avons un taux de logements sociaux d’environ 40%, tandis que dans le cœur de la ville, malgré un taux de pauvreté élevé, il n’y a que 8% des logements sociaux. C’est d’ailleurs ce qui a encouragé la prolifération des marchands de sommeil et l’émergence de l’habitat indigne à Marseille au cours des dernières années.
Depuis, nous avons commencé à travailler, il y a plus trois ans maintenant, avec l’association Stop Exclusion Énergétique. Notre objectif était de collaborer avec l’ensemble des acteurs locaux qui font un travail remarquable tout en essayant de repérer ce qui manquait sur le territoire en termes de coordination et de synergies à mettre en place. Nous avons donc créé une alliance locale autour de la précarité énergétique.
Notre première démarche, avant la mise en place d’un Territoire Zéro Exclusion Énergétique, a été le déploiement d’un SLIM sur le territoire de Marseille afin de mieux repérer les ménages isolés et en situation de précarité, notamment les familles monoparentales. Nous avons collaboré pour cela avec le Centre communal d‘action sociale (CCAS) et les hôpitaux de Marseille (l’APHM).
Il y a un écosystème aujourd’hui qui fonctionne bien et qui intègre également d’autres acteurs, tels que les établissements bancaires ou les structures de formation dans le cadre du Territoire Zéro Exclusion Énergétique à Marseille.
Mais ce qui manque à Marseille, c’est le financement adéquat. Nous n’avons pas encore identifié les dispositifs appropriés pour le reste à charge et le financement associé. La question de l’avance est également cruciale, car elle peut souvent retarder les travaux, constituant ainsi un obstacle significatif.
Pour avancer véritablement et massifier les rénovations, il faudrait envisager une transition vers une obligation plutôt qu’une incitation. Cela nécessiterait un levier financier, comme une avance intégrale de l’État à travers des prêts hypothécaires et d’autres dispositifs bonifiés. En matière de réduction des gaz à effet de serre, un changement de paradigme dans la rénovation énergétique pourrait ouvrir de nombreuses possibilités.
Nous devons également nous saisir pleinement de l’enjeu de la formation des professionnels qui demeure indispensable.
Nous souhaitons expérimenter cette approche dans les territoires exclus, en assurant une formation continue et initiale adéquate pour les artisans et les professionnels de la rénovation. Il est crucial, à mon sens, par ailleurs de recruter davantage d’ensembliers solidaires et de généraliser cette nouvelle compétence.
Nous cherchons également à expérimenter un outil appelé « revenu de transition écologique », essentiel pour ceux qui veulent passer d’une activité de construction à une spécialisation en rénovation, avec un soutien financier garanti pendant la période de transition.
Enfin, il reste la question logistique de l’approvisionnement en matériaux biosourcés. Nous avons identifié la coopérative AMERMA à Marseille, soutenue par l’ADEME, qui entend mutualiser les outils et garantir un approvisionnement durable.
Gilles Berhault
La ville de Besançon, quant à elle, a pris des mesures significatives sur les questions écologiques des décennies. Annaïck Chauvet, pouvez-vous nous expliquer comment la ville de Besançon croise aujourd’hui justice sociale et enjeux environnementaux, afin de pouvoir répondre aux défis du climat tout en combattant la grande précarité ?
Annaïck Chauvet, Adjointe au Maire de Besançon, Déléguée en charge de la transition énergétique, des bâtiments, des moyens techniques de la ville
À Besançon, nous avons été précurseurs dans le développement des énergies renouvelables. Concernant nos bâtiments municipaux, nous avons fait le choix de consommer de l’électricité verte pour tous. Actuellement, cette électricité verte provient à 15% environ de sources locales. S’agissant du chauffage, nous utilisons toutes les énergies renouvelables, solaire, géothermie, bois mais une grande partie provient encore du gaz. Possédant le troisième massif forestier de France, nous disposons également d’un réseau de chaleur alimenté en énergie de récupération et bois. Nous avons de grandes chaufferies bois, qui utilise le bois local.
Nous avons également un projet pilote dans un quartier prioritaire de la ville. Ce quartier compte à lui seul 20 000 habitants pour une population totale de 120 000 habitants. Sur ce quartier spécifique, nous avons décidé de mettre en commun les bâtiments pour l’autoconsommation collective, impliquant les bailleurs sociaux et l’agglomération.
Ainsi, sept bâtiments sociaux seront équipés de panneaux photovoltaïques, installés sur leurs toitures, ainsi que deux écoles de la ville de Besançon et deux parkings de l’agglomération. Tout ce dispositif est mis en place avec un concessionnaire.
Il y a encore des étapes à franchir, mais l’objectif de ce projet est clair. Il vise à réduire la facture d’électricité des occupants des logements sociaux d’au moins 10% par rapport au coût de l’énergie précédent la crise que nous connaissons actuellement.
En ce qui concerne notre collaboration avec nos interlocuteurs du secteur social, nous travaillons ensemble efficacement et nous avons même mis en place un service dédié à la ville, rattaché à la direction de la maîtrise de l’énergie, ce qui facilite grandement notre travail en commun sur ce projet et sur d’autres initiatives similaires.
Cette direction d’ailleurs est très impliquée dans le SLIME.
Nous travaillons également sur le territoire avec la Maison de l’habitat, avec l’ADIL, ainsi que d’autres partenaires plus généraux.
A Besançon, nous avions aussi mis en place d’autres types d’actions de lutte contre la précarité énergétique telles que la mise à disposition de mallettes ou la visite d’un appartement de manière à sensibiliser les ménages non seulement sur les questions de rénovation énergétique mais aussi sur les moyens à mettre en œuvre pour faire des économies d’eau ou encore trier ses déchets.
Mais notre ambition était d’aller plus loin en rejoignant le programme Territoires Zéro Exclusion Énergétique de manière à fédérer
un plus grand nombre d’acteurs autour du sujet de la précarité énergétique et de faire en sorte qu’ils se saisissent pleinement de ce sujet.
Gilles Berhault
Grand Paris Grand Est a fait de la précarité énergétique une priorité. Comment cela se traduit-il concrètement ? Comment travaillez-vous collectivement, Florence Presson ?
Florence Presson, Adjointe au Maire de Sceaux, Déléguée aux transitions et à l’économie circulaire et solidaire, engagée dans Grand Paris Grand Est
Il y a six ans, Xavier Lemoine, Maire de Montfermeil, Président du Territoire Grand Paris Grand Est et Vice-Président de la Métropole du Grand Paris, a présenté un rapport réalisé par la SEM Île-de-France Énergie qui tirait la sonnette d’alarme. Cela a été un électrochoc pour l’ensemble des cinquante-trois maires de la Métropole du Grand Paris qui se sont tous engagés à devenir des maires rénovateurs et non pas seulement constructeurs ou bâtisseurs.
Dès lors, a été créé un parcours de rénovation énergétique performante afin de trouver des solutions et surtout des partenaires.
C’est ainsi que 450 à 500 ménages ont été contactés en six ans. Près de 30% d’entre eux ont réalisé des travaux. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ont abandonné faute d’avoir un reste à charge qui puisse être pris en compte. Mais d’autres ménages, contactés en 2022, reviennent vers nous aujourd’hui comprenant qu’ils peuvent mobiliser de nombreuses aides publiques. L’implication des banques demeure déterminante pourtant car le reste à charge reste encore trop élevé.
La question du financement est un enjeu majeur à à relever dont nous devons nous saisir pleinement tout comme celui du recrutement des Ensembliers solidaires.
Le travail de Territoires Zéro Exclusion Énergétique est à cet égard important et nous sommes ravis d’y être associés.
Gilles Berhault
Comment travaille aujourd’hui Lyon, pour faire face à cette situation qui est aussi dramatique dans cette région qu’ailleurs ?
Sophia Popoff, Adjointe au Maire de Lyon, en charge du logement et du renouvellement urbain, conseillère à la Métropole de Lyon
A Lyon, la métropole est à la fois une intercommunalité et un département. Elle a aussi une autorité organisatrice de l’habitat depuis 2015. Et elle a développé un programme d’aide à la rénovation énergétique assez important en 2020 aussi bien dans les quartiers populaires, y compris dans les quartiers qui sont conventionnés ANRU que dans le parc privé. Aujourd’hui, nous finançons à égalité le parc privé et le parc social. La Métropole de Lyon a aussi intégré un SLIM en partenariat avec Soliha.
Au niveau de la Ville de Lyon, les actions sont un peu éparpillées. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes rapprochés de l’association Stop Exclusion Énergétique, Nous étions, en effet, très intéressés aussi bien par la dynamique créée par cette association que par les bonnes pratiques mises en œuvre que nous souhaitions intégrer.
Nous n’étions ni candidat ni lauréat du Territoire Zéro Exclusion Énergétique, mais nous avons été lauréat d’un appel à projets de la Commission européenne sur les villes climatiquement neutres à l’horizon 2030. Notre objectif, à la Ville de Lyon, avec le concours de la Commission européenne, est donc de créer une grande agora avec tous les partenaires de la ville pour se mettre en chemin vers la ville climatiquement neutre en 2030.
D’où notre intérêt à rejoindre aujourd’hui le réseau des Territoires Zéro Exclusion Énergétique pour s’inspirer de tous les territoires déjà bien engagés dans ce programme.
A la Ville de Lyon, nous sommes également favorables à une forme d’obligation en termes de rénovation énergétique afin d’agir collectivement. En effet, l’approche très itérative que l’on a aujourd’hui fait reposer la responsabilité sur la volonté des personnes prises individuellement. Or, nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés telles que l’identification des ménages concernés ou encore à des blocages liés au coût encore trop élevé du reste à charge et de l’accompagnement. Vous annoncez dans le cadre de votre programme qu’il faut 6500 € pour cela.
Nous devons donc vraiment passer à une massification pour accélérer et répondre véritablement au défi climatique. Nous devons pour cela mettre en œuvre des moyens collectifs pour accompagner ce processus, et questionner notre rapport à la propriété en travaillant en commun sur les copropriétés dont les règles sont parfois très bloquantes.
Nous avons à remettre les notions de solidarité et de fraternité au centre du débat et permettre aux citoyennes et citoyens de se saisir pleinement des politiques publiques que nous menons.
Gilles Berhault
L’Eurométropole de Strasbourg est labellisée Territoire Zéro Exclusion Énergétique, quelle ambition avez-vous, Marc Hoffsess pour ce territoire ?
Marc Hoffsess, Adjoint à la Maire de Strasbourg, Conseiller Eurométropolitain en charge de la transition énergétique, Adjoint de la commune de Strasbourg en charge de la transformation écologique
A Strasbourg, nous avons un écosystème extrêmement riche d’associations qui font un travail formidable en direction de tous les publics pour leur venir en aide. Contrairement aux idées reçues, il faut savoir qu’à Strasbourg, 25% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et les fractures entre les quartiers sont prégnantes.
Quand nous sommes arrivés à la tête de la Ville, nous avons doublé les budgets des subventions accordés par la Ville aux structures d’accompagnement pour apporter notre soutien et renforcer l’action sur le territoire. Nous voulions aussi que les citoyens et citoyennes de Strasbourg participent le plus possible à la définition des politiques publiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes ravis d’être partie prenante et de participer au programme Territoires Zéro Exclusion Énergétique. C’est une façon pour nous de croiser les politiques en matière d’habitat, d’énergie, de solidarité et d’action sociale et de parvenir à résoudre ces situations de précarité multi factorielles en inventant de nouveaux dispositifs.
Mais il nous faut avancer sur des sujets communs. En effet, à Strasbourg, la question du financement s’avère tout aussi cruciale qu’à Marseille. Il est estimé qu’il faudrait 16 milliards d’euros pour atteindre nos objectifs de réduction de consommation d’énergie d’ici 2050.
Nous devons également développer l’ingénierie d’accompagnement des projets pour renforcer la confiance et soutenir le tissu économique, y compris les filières et les entreprises, qui sont essentielles pour répondre à ces défis tout en restaurant l’image des métiers concernés par la rénovation énergétique.
Or, le programme Territoires Zéro Exclusion Énergétique nous donne l’opportunité de réfléchir à l’ensemble de ces sujets. Ce Campus de Marseille est une étape riche pour tous les élus, je vous donne rendez-vous à Strasbourg dans un an au 2e Campus des Territoires Zéro Exclusion Énergétique. Nous serons heureux de vous recevoir. Cette rencontre aura lieu en parallèle des Assises Européennes de la Transition Énergétique qui se dérouleront du 24 au 26 juin 2025.